Selon une étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) menée en 2019, 60% des Français seraient favorables à l’interdiction du port du voile dans la fonction publique. Cette question, qui fait régulièrement débat dans l’Hexagone, soulève des enjeux majeurs autour de la laïcité, de la liberté d’expression et de l’égalité des sexes.
La controverse autour du port du voile dans la fonction publique est loin d’être un sujet de discorde récent. Elle s’inscrit dans une histoire longue et complexe de la relation entre la religion et l’État en France. Retour sur cette question essentielle : peut-on porter le voile dans la fonction publique ? Nous avons mené notre enquête sur ce sujet épineux.
Neutralité religieuse dans la fonction publique
La charte de la laïcité dans les services publics, établie le 21 octobre 2022 et révisée le 11 avril 2024, stipule que la neutralité religieuse est une obligation pour les agents publics. Ce principe, inscrit dans l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 et dans l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905, limite la liberté d’expression des agents publics tout en préservant leur liberté de conscience. Il est ainsi évident que les agents publics, qu’ils soient titulaires, contractuels, stagiaires ou élèves, ne sont pas autorisés à manifester leurs convictions religieuses, philosophiques ou politiques dans l’exercice de leurs fonctions.
📚 Date |
Événement |
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📅 21 octobre 2022 |
Création de la charte de la laïcité dans les services publics |
📅 11 avril 2024 |
Révision de la charte de la laïcité dans les services publics |
📅 4 octobre 1958 |
Adoption de l’article 1 de la Constitution |
📅 9 décembre 1905 |
Adoption de l’article 1 de la loi sur la laïcité |
Le cas du port du voile
Le port du voile dans la fonction publique semble être en contradiction avec ces principes de neutralité et de laïcité. Dans un jugement rendu le 6 octobre 2011, la Cour Administrative d’Appel de Versailles (N° 09VE02048) a statué en faveur du licenciement pour faute grave d’une assistante maternelle communale de la région francilienne. Celle-ci, malgré les avertissements répétés de la commune, persistait à porter un bandana, symbole de son appartenance religieuse.
- Elle avait remplacé le voile par le bandana et ne se couvrait la tête qu’en présence des parents.
- Elle a contesté son licenciement en arguant que la commune avait porté atteinte à sa liberté de conscience.
La cour a jugé que la liberté de conscience, bien que garantie aux agents publics, doit être mise en balance avec le principe de laïcité de la République. En d’autres termes, les agents publics ne sont pas autorisés à exprimer leurs convictions religieuses dans le cadre de leur service public. Le refus de l’assistante d’obtempérer aux avertissements de la commune a été perçu comme une violation de ses obligations professionnelles.
Interprétations divergentes et débats sociétaux
La question du port du voile dans la fonction publique soulève de vifs débats sociétaux et des interprétations divergentes de la laïcité. Certains soutiennent que la laïcité est une garantie de liberté, permettant à chacun de pratiquer sa religion sans interférence de l’État. Pour eux, interdire le port du voile dans la fonction publique serait une atteinte à cette liberté.
D’autres, en revanche, estiment que la laïcité implique une stricte séparation entre l’État et la religion, et que les agents publics, en tant que représentants de l’État, doivent s’abstenir de toute manifestation religieuse. Cette vision de la laïcité est celle qui prévaut actuellement en France, comme en témoigne la jurisprudence citée précédemment.
Il y a ceux qui proposent une troisième voie, celle d’une laïcité dite “ouverte” ou “inclusive”, qui permettrait aux agents publics de manifester leur religion dans la limite du respect de la neutralité du service public. Cette approche, bien que minoritaire, gagne en popularité et pourrait à terme influencer l’évolution de la législation et de la jurisprudence en la matière.
Le port d’un signe convictionnel dans la fonction publique
Marie (Nancy) : « La loi française n’interdit pas explicitement le port du voile en entreprise »
En tant que fonctionnaire à Nancy, je peux témoigner que la liberté religieuse est un principe fondamental dans notre pays. Précisons que cette liberté ne doit pas causer de troubles dans l’entreprise. Dans mon expérience, j’ai constaté que le règlement intérieur peut imposer des restrictions sur les signes religieux, en fonction de l’activité de l’entreprise, des contraintes de sécurité, d’hygiène, de santé ou d’image.
Il m’est arrivé de voir des cas où l’employeur interdisait le voile, mais la décision était toujours motivée par des raisons d’organisation, d’hygiène ou de sécurité. La Loi Travail d’août 2016 a introduit la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur des règles de neutralité et de restreindre la manifestation des convictions des salariés, à condition que ces restrictions soient proportionnées et justifiées.
Je me souviens d’un arrêt de la Cour de Cassation du 22 novembre 2017 qui a affirmé qu’un employeur peut interdire le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, si la clause est générale et appliquée uniquement aux salariés en contact avec les clients. En l’absence d’une telle clause, un employeur ne peut pas licencier une salariée qui refuse de retirer son voile.